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Refuser le fichage ADN : pourquoi ? Comment ?

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Depuis mars 2003, la police réalise un prélèvement ADN[1] des personnes présumées ou jugées coupables de presque toute action illégale, sans limite d’âge. Tag sur un panneau publicitaire, vol à l’étalage, fauchage d’un plant de maïs OGM, collage d’affiche, outrage au drapeau français… Début mai 2007, deux enfants de 8 et 11 ans étaient convoqués pour relever leurs empreintes génétiques. Motif ? Avoir volé deux « Tamagotchi » et deux balles rebondissantes dans un hypermarché du Nord de la France. Suite à la protestation des parents et quelques articles dans la presse nationale, le procureur a finalement fait marche arrière. À titre exceptionnel.

Dans un silence médiatique quasi-absolu, l’Etat français instaure le fichage génétique de toutes les personnes considérées comme « déviant-e-s » : manifestant- e-s anti-CPE, faucheurs et faucheuses d’OGM, jeunes des quartiers populaires, militant-e-s antipub, syndicalistes… Déjà plus de 480 000 profils ADN sont regroupés dans le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG). Seuls les délits financiers et les abus de biens sociaux ne sont pas concernés par ce dispositif.

Comment en est-on arrivé là ? Quel projet de société dessine le fichage génétique ? Peut-on refuser le prélèvement ADN ? Pourquoi ? Quelles sont les conséquences d’un refus ? Comment s’organiser pour résister ?

Vu le contexte politique actuel, toute personne ayant affaire avec la police, que ce soit pour des raisons politiques, économiques ou sociales, sera confrontée tôt ou tard au fichage génétique. Et se verra sommée de choisir. Accepter le prélèvement ADN. Ou le refuser.

 

I. LE FICHAGE ADN : QUI ? DEPUIS QUAND ?

L’Etat français a mis en place puis étendu le fichage génétique en profitant de contextes émotionnels forts. Le 26 mars 1998, Guy Georges, violeur et tueur en série impliqué dans 20 affaires criminelles dont 7 meurtres, est identifié et arrêté grâce à son ADN. Trois mois plus tard, le 17 juin 1998, le gouvernement de Lionel Jospin met en place le prélèvement ADN pour les auteur-e-s de crimes et délits sexuels commis sur des mineur-e-s de moins de 15 ans. Les prélèvements sont regroupés dans le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG). Ils sont conservés 40 ans.

Le 15 novembre 2001, deux mois après les attentats du 11 septembre, alors que l’insécurité s’annonce comme le thème central des élections présidentielles de 2002, le gouvernement de Lionel Jospin élargit le fichage ADN. Il concerne désormais les atteintes graves et volontaires à la vie de la personne (crimes contre l’Humanité, homicides volontaires, actes de torture, proxénétisme…) ou les atteintes aux biens accompagnés de violence (incendie, destruction…). Cette loi, dite de « sécurité quotidienne », prévoit également une sanction pour tout refus de prélèvement : 6 mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende. Enfin, un Institut National de Police Scientifique est mis en place, sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur.

Le 18 mars 2003, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin étend une nouvelle fois le fichage ADN, sous l’impulsion du Ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. Désormais, 137 infractions sont concernées, soit la quasi-totalité des crimes et délits d’atteintes aux personnes et aux biens (vol, tag, arrachage de cultures OGM, outrage à agent, insulte, dégradation…). Seuls les délits financiers ne sont pas concernés (abus de biens sociaux, fausses factures, fraude fiscale, banqueroute, trafic d’influence, corruption…). Cette loi, dite de « sécurité intérieure », prévoit non seulement de ficher les personnes condamnées, sans limite d’âge, mais également les personnes simplement suspectées, « à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants ». S’il est innocenté, l’intéressé peut demander le retrait de ses empreintes du FNAEG. Mais le procureur est libre de refuser. Enfin, les sanctions en cas de refus du prélèvement ADN sont alourdies : 1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende (2 ans et 30 000 euros dans le cas d’une personne condamnée pour crime).

Le 9 mars 2004, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin oblige toute personne condamnée à plus de dix ans de prison, à fournir son ADN. Les prélèvements peuvent être effectués de force ou à l’insu des condamné-e-s. Qui refuse perd droit à toute réduction de peine.

Actuellement, plus de 480 000 personnes sont fichées dans le FNAEG (Le Figaro, 16/05/2007), dont plus de 200 000 sur simple présomption, sans qu’une condamnation n’ait été prononcée à leur encontre. D’ici 2008, l’objectif de l’Etat français est d’atteindre le million de personnes fichées.

La France est le second pays européen en matière de fichage. L’Angleterre reste loin devant, avec plus de 3 millions de personnes génétiquement fichées, soit 5% de la population. D’ici quelques temps, les fiches ADN seront mutualisées dans toute l’Europe. Depuis le 15 janvier 2007, les 27 pays de l’Union européenne ont en effet donné leur accord de principe pour inscrire dans la législation européenne le libre accès pour chacun des Etats membres aux fichiers ADN des autres pays.

Articles de loi régissant le fichage génétique : Faits prévus par les articles 706.54, 706.55 et 706.56 du Code de Procédure Pénale. Faits réprimés par l’article 706.56 du Code de Procédure Pénale.

Détails techniques et financiers sur le prélèvement ADN :

Le prélèvement ADN se fait au moyen d’un bâtonnet et d’un buvard stériles. A l’aide du batônnet, le policier muni de gants et d’un masque frotte les muqueuses de la bouche de la personne dont il souhaite prélever l’ADN. Puis il applique les cellules recueillies sur le buvard. Ce prélèvement est ensuite analysé par des laboratoires publics ou privés agréés par l’Etat. L’analyse porte sur les segments d’ADN dits « non codants », c’est-à-dire ne permettant pas de déterminer certaines caractéristiques physiques ou certaines anomalies génétiques (à l’exception du segment correspondant au marqueur du sexe). La technique utilisée permet de déterminer un profil génétique à partir d’échantillons contenant une très faible quantité d’ADN (salive, cheveu, sang, sperme…). Le résultat de l’analyse est fiable à plus de 99%. L’ADN est ensuite stocké à Ecully, près de Lyon, ou parfois à Pontoise, près de Paris.

« Le développement exponentiel du fichage génétique, passé de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers en l’espace de 4 ans, a créé un marché juteux. Désormais, à côté des laboratoires de la police et de la gendarmerie, il y a quatre ou cinq laboratoires privés auxquels la police et la gendarmerie sous-traitent les analyses d’ADN. Alors qu’une analyse par un laboratoire privé coûtait 350 € il y a quatre ans, son coût est désormais descendu à 56 €. Un marché qui reste juteux. Le premier à saisir l’opportunité pour conquérir ce marché a été le Professeur Jean-Paul Moisan. En 2003, ce chef du service de génétique du CHU de Nantes, a quitté le service public avec 21 de ses collègues pour créer sa propre entreprise, l’Institut génétique Nantes Atlantique (IGNA). Dans un accord signé avec l’IGNA, le CHU, où il ne restait plus que deux experts, s’est engagé à ne pas développer son service d’analyses génétiques, pour lequel « un plafond de 5.000 analyses par an » a été fixé. L’IGNA, qui a aujourd’hui une capacité de traitement de 180 000 analyses par an, a augmenté son capital en faisant appel à des fonds d’investissement : les fonds Edmond de Rothschild et Matignon technologies étant désormais actionnaires à 45%. » (Fausto Giudice, 18/03/07, http://bellaciao.org)

II. POURQUOI REFUSER LE FICHAGE ADN

Le fichage génétique nous est présenté comme une avancée technologique incontournable. Son objectif officiel ? La « sécurité des Français-es ». A commencer par l’amélioration des enquêtes policières. Les traces d’ADN prélevées sur les lieux d’un délit permettraient en effet d’identifier avec certitude les coupables. C’est le concept de « preuve objective » : « Sans élément matériel, nous le savons, nos dossiers sont fragiles. L’aveu est devenu suspect, le témoignage est jugé faillible. Avec la preuve objective, nous pouvons aujourd’hui élucider des affaires qui, il y a quelques années encore, seraient restées des énigmes » (Nicolas Sarkozy, à propos du fichage ADN, 23/02/2006). Selon le Ministère de l’Intérieur, le FNAEG aurait permis de résoudre 6 000 affaires depuis 1998. Fort de ce résultat, le commissaire responsable du service central d’identité milite pour l’extension du FNAEG : « Plus on étendra la base de données, plus les chances d’avoir une orientation d’enquête seront élevées. » (Nouvel Observateur, 26/04/07)

Des laboratoires en biotechnologies tentent cependant d’aller encore plus loin dans l’utilisation des gènes à des fins policières. Leurs recherches visent à déduire, d’un simple prélèvement ADN, un maximum d’informations sur son propriétaire : portrait-robot, groupe ethnique, maladies congénitales, séro-positivité… C’est le cas de la firme états-unienne DNA Print Genomics, sollicitée par les polices du monde entier. Pour obtenir les échantillons d’ADN nécessaires à ses recherches, cette start-up effectue des campagnes de prélèvement génétique sur toute la planète. Elle sollicite notamment les clubs de généalogie, promettant à leurs membres de leur révéler leurs origines lointaines, en échange de leur ADN (L’Express, 28/03/07).

Le fichage génétique ne poursuit pas seulement des buts d’investigation policière. Le fait de prélever quasi systématiquement et de conserver 40 ans l’ADN de toute personne suspectée ou condamnée par l’Etat est également présenté comme une « mesure préventive ». Pour les promoteurs du fichage génétique étendu à la quasi-totalité des crimes et délits, tout individu présentant des comportements jugés « déviants », aussi minimes soient-ils, est un criminel en puissance. Ou, pour reprendre les mots du commissaire Philippe Mallet, responsable du service central d’identité, « Les grands criminels commencent généralement par commettre de petites infractions » (Nouvel Observateur, 26/04/07). En novembre 2005, le « rapport Bénisti », remis par le député UMP du même nom à l’assemblée nationale, abondait dans ce sens. Basé sur une étude de l’INSERM1, il prédéfinissait notamment les stigmates de la « délinquance » en fonction du comportement des enfants, dès l’âge de trois ans. Les origines étrangères étaient présentées comme des circonstances aggravantes.

Ce rapport provoqua un certain tollé lors de sa publication. Deux ans plus tard, la nouvelle loi sur la « prévention de la délinquance » concrétise l’essentiel de ce projet. Votée en mars 2007, cette loi multiplie les outils de fichage des comportements jugés « déviants ». Les agents sociaux (assistantes sociales, éducateurs…) sont désormais incités à jouer le rôle d’informateurs auprès des forces de police. Des fichiers municipaux rassemblant les personnes présentant des « difficultés » sociales, éducatives, psychiatriques et financières sont créés, consultables par les autorités. Les établissements scolaires sont également mis à contribution. Expérimenté depuis 2004 et généralisé d’ici quelques mois, le fichier « base-élève » recense les enfants scolarisés, leurs « origines » géographiques, la langue parlée au domicile, leur culture d’origine, leurs résultats et difficultés scolaires, l’absentéisme, l’éventuel suivi médical, psychologique ou psychiatrique, ou encore la situation de la famille.

Cette politique de « marquage » précoce de la population accompagne le renforcement des dispositifs de contrôle et de répression. Depuis 1995, les législations ont été durcies et étendues par tous les gouvernements, de Gauche comme de Droite (voir annexe). Les emprisonnements sont de plus en plus nombreux. En l’espace de 15 ans, la population carcérale est passée de 40 000 à 60 000, alors que, dans le même temps, la population française n’a augmenté que de 5 %. Cette logique carcérale touche également les mineurs, à travers la création en 2002 des centres éducatifs fermés (CEF) et l’inauguration, cette année, d’établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). Parallèlement, de nouvelles technologies de contrôle sont progressivement expérimentées sur le territoire : bornes biométriques, déjà installées dans de nombreux lycées ; vidéosurveillance « intelligente », c’est-à-dire capable de reconnaître automatiquement des visages ou des comportements ; puces RFID, permettant le stockage et la lecture de données à distance. Cette dernière technologie équipera la nouvelle carte d’identité biométrique INES, prévue pour 2008.

Si nous avons choisi d’esquisser, en quelques paragraphes, le contexte sécuritaire dans lequel s’inscrit le fichage génétique, c’est qu’il fonde les raisons pour lesquelles nous refusons le prélèvement ADN.

1/ Le renforcement d’un ordre injuste

Les lois sécuritaires sont-elles justes ? Qui les décide ? Sont-elles aussi efficaces que le prétendent les chiffres officiels[2] ? Participent-elles à créer la société que nous voulons ? Quels sont les effets sociaux des logiques carcérales ? Pourquoi les milieux populaires sont-ils les plus touchés par la répression ? Ces questions, et bien d’autres, ne sont jamais posées. Au nom de « l’intérêt général » que représente la « sécurité » des Français-e-s, nous sommes sommés d’accepter le durcissement continu des dispositifs de surveillance et de répression, sans débat de fond sur la société qu’ils contribuent à construire.

Cette conception selon laquelle les lois sécuritaires profiteraient à tou-te-s, responsables politiques et simples citoyen-ne-s, millionnaires et RMIstes, est un mensonge fort utile pour les dirigeants de cette société. Il permet de masquer les antagonismes sociaux et de renforcer la répartition actuelle des richesses et du pouvoir. Dans une société de plus en plus inégalitaire, où les voitures de luxe cotoient la misère sociale. Où le salariat précaire se généralise, la protection sociale se rétrécit, tandis que les profits du CAC 40 atteignent des records historiques. Où un quart des Français-es consomme des antidépresseurs, des anxiolytiques et autres somnifères. Où l’Etat et les multinationales imposent l’agriculture industrielle, le nucléaire, les OGM, les nanotechnologies. Où il est interdit de diffuser des semences de variétés anciennes ou la recette du purin d’ortie. Où 60 000 sans-papiers et réfugié-e-s politiques ont été expulsé-e-s en 3 ans. Où l’insécurité sociale est de plus en plus forte. Où la colère gronde.

Alors que le capitalisme impose partout le règne du profit et produit les désastres sociaux et environnementaux que l’on connaît, l’Etat se fait de plus en plus pénal, intrusif et omniprésent. Dans un tel contexte, ce n’est pas un hasard si le fichage ADN vise désormais les militant-e-s politiques. Les faucheurs et faucheuses d’OGM qui refusent la main-mise des multinationales sur le monde agricole. Les anti-pubs qui refusent le matraquage capitaliste permanent et la colonisation de notre imaginaire. Les syndicalistes qui manifestent contre la destruction du code du travail ou les délocalisations. Les manifestant-e-s anti-CPE qui protestaient contre une loi injuste. Ce n’est pas un hasard si, en revanche, le fichage génétique ne concerne pas les délits financiers, la « délinquance en col blanc », les abus de biens sociaux et autres détournements financiers. En pénalisant les actes de contestation politique, le fichage ADN contribue à diffuser un sentiment de peur. La peur de s’opposer aux lois, de désobéir, de se révolter, la peur de lutter contre un ordre social injuste.

2/ Des outils pour régimes totalitaires

Tout militant politique ou syndical informé sur les luttes sociales dans le monde, actuelles ou passées, sait de quoi nous parlons. Il suffit de se mettre quelques minutes dans la peau d’un juif ou d’une juive sous Pétain, d’un-e Chilien-ne sous Pinochet ou d’un-e Tchadien-ne sous Idriss Déby pour comprendre à quel point les dispositifs sécuritaires développés actuellement en France sont lourds de menaces. Le quadrillage des populations, la multiplication des fichages, les nouvelles technologies de contrôle et le sentiment de peur qu’elles génèrent sont les outils de base de la répression des opposant-e-s politiques. Non seulement les lois sécuritaires renforcent les dominations qui pèsent sur la population, mais elles jalonnent le chemin vers des régimes dictatoriaux.

Cette conviction, bien qu’elle fonde profondément notre refus du prélèvement ADN, est souvent difficilement comprise. La plupart du temps, il nous est reproché « d’exagérer », de faire preuve de « paranoïa », de nous projeter anachroniquement dans le roman 1984 de Georges Orwell. Que ces personnes lisent d’abord les livres Escadrons de la mort, Une guerre noire, Les années Condor ou Noir Silence (cf. bibliographie), et nous disposerons alors de bases communes pour en reparler… Ces ouvrages détaillent la genèse et le potentiel des dispositifs sécuritaires, en particulier l’exportation des stratégies et des technologies développées par l’Armée et la police française vers les dictatures d’Afrique et d’Amérique latine.

Quoi qu’il en soit, nul besoin d’agiter le spectre d’une dictature, d’un Hitler, d’un Pétain ou d’un Idriss Déby pour justifier la résistance aux lois sécuritaires. Comme nous avons tenté de l’exposer précédemment, la situation d’injustice sociale actuelle est déjà suffisamment révoltante.

3/ Vers la discrimination génétique

Multiplication des fichages, vidéosurveillance, déploiement de technologies biométriques… Au nom de la « sécurité » et de la « prévention », peut-on aller plus loin en matière de traçabilité sociale ? Oui. A travers le fichage ADN, une nouvelle politique sécuritaire devient possible, basée sur le caractère génétique des comportements « déviants ». Une conviction du président Nicolas Sarkozy lui-même : « J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. » (Philosophie Magazine, mars 2007) Autrement dit, notre identité se réduirait principalement aux informations stockées dans notre ADN, nos caractéristiques biologiques prédomineraient sur notre histoire, notre éducation, notre contexte affectif, social et économique. Ainsi, connaître l’ADN de l’ensemble de la population permettrait d’identifier les futurs criminels.

Ce type de déclaration, qui dans la bouche d’un Jean-Marie Le Pen aurait déclenché une vive campagne d’indignation médiatique, est passée relativement inaperçue, malgré les dénonciations de généticiens renommés. Pour l’heure, l’Etat semble poursuivre des recherches dans cette direction. Récemment, l’INSERM aurait lancé une enquête auprès de plusieurs milliers d’étudiant-e-s en Champagne-Ardenne. Après avoir fait remplir à ces étudiant-e-s un questionnaire portant sur leur situation sociale, familiale et scolaire, l’existence éventuelle d’une dépendance par rapport à une quelconque drogue, leurs habitudes de consommations, leurs antécédents familiaux, leur niveau habituel d’impulsivité, leur éventuel état dépressif, leur éventuelle déviance sexuelle, l’INSERM aurait prélèvé leur ADN. Le but ? Etudier « l’interaction entre facteurs environnementaux et facteurs génétiques » (http://souriez.info).[3]

D’un point de vue politique, la conception du monde selon laquelle « l’inné » prédomine sur « l’acquis » présente de nombreux avantages :

- Elle minimise la responsabilité de l’Etat et de l’organisation sociale dans les souffrances de la population. Affirmer la prédominance génétique de telle ou telle pathologie, c’est faire passer à l’arrière-plan le contexte social et environnemental. C’est couper l’herbe sous le pied de toutes les organisations politiques qui considèrent l’actuel sytème social comme la principale cause des souffrances psychiques, des maladies, des suicides et de la misère sociale.
-
 Elle encourage les logiques répressives et carcérales. Si certains individus sont intrasèquement pédophiles, ils sont incurables. Il ne reste qu’à les enfermer, les ’’éliminer’’ socialement par la camisole physique ou chimique.
-
 Plus largement, cette idéologie naturaliste ouvre la porte aux stigmatisations, au racisme et à l’eugénisme. Certain-e-s seraient fait-e-s pour commander, d’autres pour être guidé-e-s, certain-e-s pour être riches, d’autres pour vivre dans des HLM… Une idéologie en phase avec de nombreux partisans du libéralisme.[4]

Enfin, la discrimination génétique présente un intérêt pour le système capitaliste. Pour une compagnie d’assurance ou une entreprise, sélectionner ses clients ou ses employés en fonction de leurs prédispositions génétiques représenterait un nouveau critère de rentabilité. Dans ces conditions, la tentation serait forte de disposer du fichier ADN de la population. Or, qui peut garantir, pendant 40 ans, l’imperméabilité du FNAEG, que ce soit par malveillance5 ou par législation ? Qui peut affirmer que dans 20 ans, un gouvernement n’autorisera pas les multinationales (banques, compagnies d’assurance, employeurs, services de marketing, …) à consulter les profils génétiques de la population ?

III. COMMENT REFUSER LE FICHAGE ADN

Parce que nous refusons les politiques sécuritaires qui renforcent une organisation sociale injuste et jalonnent le chemin vers des Etats totalitaires, parce que nous refusons de donner nos gènes à des autorités qui, sous couvert « d’insécurité », ouvrent la voie vers la discrimination génétique, nous considérons le refus de fichage génétique comme un acte politique indispensable. Et possible.

Lors d’une garde-à-vue ou d’une convocation de la police, nous pouvons en effet refuser le fichage génétique. Tant que nous ne sommes pas condamné-e-s pour les faits qui nous sont reprochés, le prélèvement ADN ne peut être fait sans notre consentement : notre corps est considéré comme une propriété privée.

La plupart du temps, la police « oublie » de nous informer de ce droit. Si, lors d’une arrestation, nous refusons le prélèvement ADN, elle exerce souvent des pressions psychologiques. Menaces, parfois insultes, les policiers affirment que notre refus entraîne automatiquement 15 000 euros d’amende et 1 an de prison, peine maximale prévue par la loi en cas de refus de fichage génétique. Ce moment est difficile à vivre. Il faut s’y préparer, tenir bon et réussir à expliquer calmement les raisons de notre refus de prélèvement ADN.

Ce refus entraîne (non-systématiquement) une convocation pour un procès.[6] Plusieurs procès ont déjà eu lieu, une centaine sont en cours. Jusqu’à présent, ces procès ont abouti à des relaxes, des amendes maximales de 500 euros, voire de la peine de prison avec sursis.[7] Quelques exemples :

A Douai, un agriculteur qui refusait de se soumettre à un prélèvement ADN à la suite d’une condamnation pour destruction de cultures OGM, a été condamné à un euro d’amende avec sursis par le tribunal correctionnel. A Alès, une autre faucheur volontaire, Benjamin, a été condamné à 500 euros d’amende pour les mêmes raisons. A Orléans, 16 faucheurs volontaires d’OGM ont été condamnés jeudi 24 mai dernier à deux mois de prison avec sursis pour avoir refusé de se soumettre au fichage génétique, suite à un arrachage de maïs transgénique Monsanto.

A Mâcon, une jeune femme, Camille, a été relaxée. Lors d’un contrôle routier, des gendarmes avaient trouvé un narghilé (pipe à eau) dans sa voiture. Ils ont exigé un prélèvement ADN pour présomption de consommation de cannabis. Camille a refusé. Elle est passée en procès le 21 mars 2007, et a été relaxée. Cette situation illustre l’arbitraire de la loi sur le fichage génétique, qui permet à un officier de police judiciaire d’ordonner un prélèvement ADN sur simple présomption, avec un dossier d’accusation quasiment vide, sans que les preuves de culpabilité ne soient obligatoirement établies.

Notons que le refus de donner son ADN est considéré comme un délit « infini ». Autrement dit, après une condamnation pour refus de prélèvement génétique, la police peut demander de vous soumettre de nouveau au test. Si vous refusez, vous vous trouvez en situation de récidive, ce qui aggrave les peines pouvant être requises.

Pour faire pression sur la Justice française, le refus en masse est une possibilité. La saturation des tribunaux s’envisage, en effet, avec seulement 10% de refus. Plusieurs organisations soutiennent cette démarche : les faucheurs volontaires, la Ligue des Droits de l’Homme, la Confédération Nationale du Travail (CNT), la CGT, les Verts et le Syndicat de la magistrature.

Depuis l’automne 2006, un collectif REFUS ADN s’est constitué. Cette structure d’information et de soutien vise à rassembler les personnes refusant le prélèvement ADN.

Site : http://refusadn.free.fr Courriel : refusadn@free.fr

Les soutiens financiers sont les bienvenus ! Chèques à l’ordre de « caisse de solidarité », mention « refus ADN » au dos du chèque, adresse d’envoi : Association Témoins, 39 rue Courteline, 69100 Villeurbanne.

BIBLIOGRAPHIE

Voici une sélection de textes, de livres, de films et de sites internet pour approfondir cette brochure :

>>> Sur le fichage ADN Pistés par nos gènes, film documentaire de Philippe Borrel et Gilbert Charles, 52mn, 2007

>>> Sur la biométrie Au doigt et à l’oeil, Sébastien Thomasson, 2005, texte disponible sur http://souriez.info/ Le temps des biomaîtres, film documentaire de Laurent Guyot, 52 mn, 2006

>>> sur la RFID RFID, la police totale, 2006, texte disponible sur http://pmo.erreur404.org Des moutons et des hommes, 2007, texte disponible sur http://pmo.erreur404.org

>>> Sur la face cachée de la police Place Beauvau, Recasens, Décugis et Labbé, Robert Laffont, 2006 Ruptures, Serge Portelli, 2007, livre téléchargeable sur http://www.betapolitique.fr Histoire secrète de la Vème République, ouvrage collectif, La découverte, 2007

>>> Sur le fichage Histoire de la carte nationale d’identité, Pierre Piazza, Odile Jacob, 2004 Tous fichés, Jacques Henno, Télémaque, 2005

>>> Sur les origines et le potentiel des outils sécuritaires modernes Escadrons de la mort, l’école française, M.D. Robin, La découverte, 2004 Une guerre noire, Périès et Servenay, La découverte, 2007 Les années Condor, John Dinges, La découverte, 2005. Noir Silence, F.X. Verschave, Les arènes, 2000 La violence nazie, Enzo Traverso, La Fabrique, 2002

>>> Sur la création de « l’insécurité » et la logique carcérale La machine à punir, Didier Bigot, L’esprit frappeur, 2001 Pourquoi faudrait-il punir ?, Catherine Baker, tahin party, 2005 Punir les pauvres, Loïc Wacquant, Agone, 2004 L’industrie de la punition, Niels Christie, autrement, 2003

>>> Sites internet Souriez vous êtes filmés, http://souriez.info/ Pièces et Main d’Oeuvre, http://pmo.erreur404.org Big Brother Awards France, http://nomines.bigbrotherawards.eu.org/ Non à INES, http://www.ines.sgdg.org/

>>> Connaître ses droits face à la police Face à la Justice, face à la police, livre téléchargeable sur www.guidejuridique.net

ANNEXE

Sélection non exhaustive et simplifiée de quelques lois sécuritaires depuis les années 90 :

1994 : Création de la Brigade Anti-Criminalité (BAC) 1995 : Activation du plan d’alerte ’’anti-terroriste’’ Vigipirate (toujours en vigueur) : contrôles accrus, périmètres de sécurité, présence de l’Armée dans certains lieux publics. 1995 :Autorisation de la vidéosurveillance dans les lieux publics. 1997 : Création des Contrats Locaux de Sécurité (meilleure coordination entre la police et les collectivités locales). 1998 : Fichage génétique pour les crimes et délits sexuels (FNAEG). 2001 : Extension des motifs de contrôles d’identité et de fouille des véhicules. 2002 : Augmentation des cas de comparution immédiate. 2002 : Sanctions alourdies pour les mineurs, création de centres éducatifs fermés (CEF) à partir de 13 ans. 2003 : Fichage génétique étendu à la quasi-totalité des crimes et délits. 2003 : Nouvelles incriminations pénales visant le stationnement de jeunes dans les halls d’immeuble, la mendicité, les prostitué-e-s, les gens du voyage. 2003 : Punition de tout « outrage au drapeau national » ou à l’hymne national. 2004 :Mesures pour favoriser la délation et l’impunité des délateurs. 2004 :Extension du champ des perquisitions, pouvant désormais avoir lieu en l’absence ou sans l’accord de la personne, y compris de nuit. 2004 : Garde à vue portée à 4 jours (et à 6 jours en cas d’accusation de « terrorisme »). 2005 : Instauration de l’état d’urgence de novembre 2005 à janvier 2006 (couvre-feu, extension des pouvoirs répressifs, etc.). 2005 : Surveillance électronique des délinquants sexuels après leur sortie de prison. 2005 : Obligation pour les fournisseurs d’accès internet et les opérateurs téléphoniques de stocker leurs données au moins 6 mois pour les fournir à la police en cas de procédure. 2006 : Octroi à des élus politiques (maires, présidents de conseil général…) d’un pouvoir de sanction des familles et des jeunes en cas « d’incivilité ». 2006 : Forces de police équipées en Taser (pistolet à décharge électrique). 2007 : Création de fichiers municipaux rassemblant les personnes présentant des « difficultés » sociales, éducatives et financières. Le maire et le président du conseil général ont désormais accès aux informations confidentielles que seuls les éducateurs et les assistantes sociales détenaient jusqu’à aujourd’hui. 2007 : Fichage des personnes présentant des troubles psychiatriques. Procédures d’internement psychiatrique simplifiées (sur simple avis d’un médecin). 2007 : Mise en place des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). 2007 : Interdiction de faire circuler sur internet des images de violences policières. 2007 : Création d’une milice de soutien à la police, le « service volontaire citoyen de la police nationale ». prévu pour 2008 : Nouvelle carte d’identité biométrique baptisée INES (Identité Nationale Electronique Sécurisée). Sa puce (lisible à distance) contiendra : empreintes digitales numérisées, photographie vectorisée de notre visage, numéro personnel d’identification permettant d’interroger les fichiers de police.

NOTES

[1] D’après le dictionnaire Le petit Robert, l’acide désoxyribonucléique (souvent abrégé en ADN) est une molécule que l’on retrouve dans les cellules de presque tout organisme vivant. L’ADN contient l’information génétique et héréditaire. Il est différent pour chaque être humain, à l’exception des vrais jumeaux.

[2] Deux livres sur la manipulation des chiffres de la « délinquance » : Place Beauvau, Recasens, Décugis et Labbé, Laffont, 2006 et Ruptures, Serge Portelli, 2007, téléchargeable sur http://www.betapolitique.fr. Pour un aperçu des manipulations également utilisées avec les chiffres du chômage, cf. journal CQFD n°40 à 45 (http://cequilfautdetruire.org).

[3] A l’heure où nous rédigeons ce texte, cette information n’est pas totalement vérifiée.

[4] cf. Pas de pitié pour les gueux, Laurent Cordonnier, Raisons d’agir, 2000 ; Le grand bond en arrière, Serge Halimi, Fayard, 2004 ; Les fondements philosophiques du libéralisme, Francisco Vergara, La découverte, 2002.

[5] Pour des exemples de revente de fichiers confidentiels, notamment par EDF, cf. Histoire secrète de la Vème République (voir bibliographie).

[6] Une convocation pour prélèvement ADN peut intervenir plusieurs années après le procès pour le délit initial. La police peut convoquer la personne au Commissariat sans spécifier qu’il s’agit d’une demande de prélèvement ADN. En cas de refus de prélèvement ADN, la police peut garder la personne en garde à vue, pour faire pression. Pour connaître ses droits lors d’une garde à vue, http://www.guidejuridique.net

[7] Une peine pour refus de prélèvement ADN se cumule avec une éventuelle autre condamnation pour le délit ayant entraîné le prélèvement ADN. Il s’agit d’une double peine.


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